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    Causerie. Lyon, 27 septembre.

    Quand Mérimée courait le monde, il n'emportait avec lui, comme livres de chevet, que la Vie des femmes galantes de Brantôme, et une collection de faits-divers des dernières années. Si cet homme d'esprit n'avait point rendu sa plume à Dieu, j'imagine qu'il lui faudrait changer aujourd'hui une partie des lectures qu'il aimait à suivre, même en voyage, à moins qu'il ne se complût au récit des meurtres les plus abominables.

    Car les faits-divers du temps présent sont presque tous alimentés par l'adultère, et l'adultère ne tourne plus comme autrefois à la comédie, mais au drame et au drame sanglant. Après l'affaire Deacon, l'affaire Reymomt- Lassimonne, et, après celle-ci, l'affaire Luna qui a été une tuerie. Ce ne sont plus comme à l'époque de Marivaux, les « jeux de l'amour et du hasard », mais bien les jeux de l'amour et du revolver...

    Vraiment c'est prendre par trop au tragique les mésaventures conjugales! L'époux trompé éprouve un besoin singulièrement excessif d'arroser son... malheur avec du sang et de leur côté les tribunaux et les jurés encouragent par une indulgence extrême les assassinats de tous ces Othellos en redingote.

    Jadis, quand le vieil et sain et robuste bon sens gaulois n'avait pas encore été altéré par l'exotisme et par la marée montante des moeurs rastaquouères, on acceptait chez nous ce désagrément avec plus de philosophie. On se disait, avec Molière, qui avait mille et une raisons pour être expert en la matière :

    Que les coups du hasard aucun n'étant garantCet accident, de soi, doit être indifférent,Et qu’enfin tout le mal, quoique le monde en gloseN’est que dans la façon de recevoir la chose.

    Et le bonhomme Chrysalde essaye même de démontrer à Arnolphe que la « chose » n'est pas sans offrir des compensations qui ont leur prix :

    Encor un coup, compère, apprenez qu'en effetLe cocuage n'est que ce que l'on en fait ;Qu'on peut même le souhaiter pour de certaines causesEt qu'il a ses plaisirs comme les autres choses.

    Une femme d'esprit du siècle dernier — ce siècle des faciles et joyeuses amours où la tendresse avait la grâce hardie des robes pompadour et des mouches assassines — Mme Geoffrin, je crois, a développé la même idée sous une forme plus vive : Les cornes, voyez-vous, c'est comme les grosses dents : Quand ça pousse ça fait mal, mais une fois qu'on les a on mange très bien avec.

    Il est aussi du même temps, ce mot exquis d'un mari qui, rentrant chez lui et surprenant sa femme — une personne ni jolie ni aimable — en conversation criminelle avec un galant, disait à celui-ci pour toute vengeance : Comment, Monsieur !... sans y être obligé!

    Je reconnais volontiers que cette bonne humeur et ce scepticisme souriant peuvent à bon droit nous paraître un peu libres. Mais enfin cet excès-là me semble meilleur que l'autre. D'autant plus que l'homicide ne répare pas l'irréparable. Et que si M. Luna l'a vraiment été, il l'est toujours, même après sa fusillade. Il se trouve seulement meurtrier, par surcroît. En quoi ce cumul peut-il rasséréner son front ?

    Non, non ces moeurs sauvages ne sauraient s'expliquer ni s'absoudre. Et le divorce, à quoi sert-il? Avec cette porte de sortie l'époux malheureux n'est plus obligé de se montrer complaisant ou tragique. Il n'a qu'à s'en aller. C'est plus simple, plus pratique et moins barbare.

    Comment s'étonner, après toutes ces tragédies bourgeoises, que la statistique accuse une diminution sans cesse croissante dans le nombre des mariages? L'amour conjugal n'est plus un échange de deux fantaisies et de deux intérêts, mais trop souvent un échange de balles au visé et de flacons de vitriol au commandement. La perspective de cet épilogue n'est rien moins que rassurante. Et il ne faut pas être surpris que le nombre grandisse des gens avisés qui ne veulent point courir tant de périls.

    J'ajoute que le sang de ses martyrs ne prévaudra pas contre l'adultère. Aussi longtemps qu'il y aura des maris, il y aura des amants heureux. Le mariage est comme une chasse réservée : on a beau la garder bien, il se rencontre toujours des braconniers qui finissent par y tendre leurs collets fructueusement.

    Alors à quoi bon ? Plutôt que de recourir aux dénouements de mélodrame ne vaudrai-til pas mieux sortir de ce vilain pas par les moyens légaux?

    Je veux cependant citer deux sortes de châtiments, imaginés par des maris espagnols pour se venger de leurs compagnes infidèles.

    Don Pedro Alvarez, dentiste de Burgos, s'aperçoit que sa femme le trompe avec un ami. Un jour don Pedro reçoit l'amant, le force à s'asseoir dans un fauteuil articulé, le ligote et lui arrache quatorze dents. Le soir, à dîner, l'épouse coupable trouve sous sa serviette, dans un écrin, la mâchoire du malheureux galant montée en collier!

    Mais le plus implacable est peut-être encore ce vieux général carliste qui condamna sa femme à copier douze fois les oeuvres complètes de M. Ferdinand Brunetière. L'Inquisition n'a pas inventé d'aussi cruel supplice !

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